L’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT) définit les risques psychosociaux (RPS) comme des faits “d’origine multifactorielle recouvrant les risques professionnels perçus et vécus par les salariés portant atteinte à leur santé mentale, physique et sociale. Ces risques sont engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels de l’activité professionnelle susceptibles d’interagir avec les fonctionnement mental”.
L’Institut national de recherche et de sécurité a proposé de définir les facteurs de risques psychosociaux selon six catégories : Intensité et temps de travail, Exigences émotionnelles, Manque d’autonomie, Rapports sociaux au travail dégradés, Conflits de valeurs, Insécurité de la situation de travail.
Si le sujet des risques psychosociaux s’est progressivement installé dans la paysage professionnel ces 10 dernières années, le contexte d’insécurité induit par la crise sanitaire du Covid-19 est venu remettre l’enjeu de la santé physique et mentale des équipes artistiques et culturelles au centre de l’attention.
D’autant plus que les facteurs de risques amplifiés par la crise se développent dans un secteur déjà fortement exposé aux RPS de par certaines spécificités : modes organisationnels, précarité des emplois, notion de métier “vocation” ou passion, etc., font de la culture un environnement parfois peu regardant sur la santé et sur la sécurité des travailleurs. La crise actuelle fait craindre une augmentation sensible des effets et des troubles psychologiques, psychophysiologiques et musculosquelettiques, l’apparition de pathologies aiguës ou chroniques.
Ce sont des temps difficiles pour les équipes où il semble crucial de souscrire et rappeler les dispositions européennes en la matière : “l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique”.
Un travail d’inventaire et d’analyse des situations & des facteurs de risques actuellement rencontrés au sein des équipes et des structures s’impose afin de chercher collectivement les conditions, les modalités, les moyens de prévention des risques psychosociaux pour traverser la période.
Pour aller plus loin, lire la Note Prévenir les risques psychosociaux dans le spectacle vivant (Marc Bouchet, Opale/CRDLA Culture) dont cette introduction s’inspire.
Les équipes en première ligne
En venant impacter durablement le cœur et la raison d’être des projets culturels, la crise sanitaire a profondément bouleversé tous les métiers du secteur artistique et culturel. Diffusion, création, enseignement, chaque structure, lieu, équipe artistique a dû repenser régulièrement son projet et en profondeur. Chacun a son niveau a revu ses pratiques professionnelles et les dynamiques d’équipe s’en sont vues largement fragilisées.
Écueils fréquemment rencontrés :
S’adapter jusqu’à l’épuisement
Faire et défaire
Le cadre des dispositions sanitaires, des interdictions et des restrictions a été et est encore, tellement mouvant qu’il a s’agit pour les acteurs de trouver les ressources pour ajuster leur positionnement en permanence et bien souvent dans l’urgence : adapter le projet ou pas, annuler ou pas, revoir la programmation ou pas, lancer un partenariat ou pas, ouvrir les activités ou pas.
Au-delà de l’arbitrage, il faut ensuite partager et assumer la décision. Particulièrement pour des personnes en programmation, en diffusion, production et communication, la gestion des annulations et des reprogrammations a été source de stress et de souffrance. Il a fallu à la fois gérer les tensions générées par l’annulation (avec les partenaires pros, les artistes, les prestataires, publics), une multitude de nouvelles tâches (gestion des calendriers / annulation billetterie / remboursements…) tout en essayant en parallèle de repenser des modalités d’action nouvelles qui elles-mêmes ne sont pas assurées. Rarement l’arrêt total des activités a été privilégié. Si le maintien des actions et la reprogrammation rapide peut être un choix de structure, les injonctions extérieures ont aussi une place dans la prise de décision (partenaires financiers, assurances). On rencontre alors des situations ubuesques de professionnels qui doivent continuer à travailler sur un projet tout en sachant qu’il ne pourra pas se tenir.
Les salariés sont confrontés à une charge de travail supplémentaire importante qu’il faut absorber sur des temps relativement courts. Cette charge de travail est peu valorisée et considérée vis-à-vis du reste de l’équipe, du public ou des partenaires puisqu’il manque l’objet final du spectacle, la restitution. Comment présenter cette charge de travail « en négatif » dans les bilans ? Pourquoi « travailler pour rien » ? Les rapports sociaux au travail s’en trouvent altérés (gestion de crise permanente) et la motivation s’effrite. Cette sensation de travail invisible est d’autant plus importante pour les personnes qui travaillent seuls (indépendants, artistes…) et qui n’ont pas d’espace pour valoriser leur travail en cette période.
Des métiers qui changent
Pour faire face à la crise, les modalités d’action ont dû évoluer pour aller vers la généralisation du travail à distance. Diffusion en streaming, ateliers pédagogiques ou intervention artistique à distance, la crise a révélé des disparités fortes dans les capacités des personnels à assurer la continuité des actions. Cette évolution des métiers impacte deux dimensions principalement :
Les compétences techniques des salarié-e-s : Un.e ingénieur.e lumière doit-il.elle apprendre à gérer l’éclairage pour de la vidéo, un.e régisseur.seuse apprendre le montage ? Est-ce qu’on doit embaucher un responsable audiovisuel dans l’équipe ?
L’adaptation du propos au distanciel : proposer une action à distance implique de repenser la manière de transmettre, de diffuser et de rencontrer le public. Là encore tout le monde n’est pas égal dans ses pratiques, son envie ou pas de prendre en main ce nouveau médium, de creuser de nouveaux aspects de son parcours professionnel ou artistique. Au-delà de l’envie et de la pertinence, il y a aussi des inégalités d’accès aux pratiques numériques qu’il s’agisse d’une question de formation, de moyens d’accès au réseau ou encore d’esthétiques ou de disciplines difficilement « digitalisables ». Ces artistes et professionnels se confrontent alors à la difficulté de ne pas pouvoir répondre à l’injonction sociale de « se réinventer ».
Face à ces deux situations, nous pouvons questionner l’apparition avec la crise d’une nouvelle forme de “travail empêché” qui, on le sait, est source de souffrance au travail.
Mes collègues me manquent… ou pas : repenser les dynamiques d’équipe
Travailler à distance
Depuis un an, les structures ont dû s’adapter au travail à distance et au télétravail. Celui-ci impacte les salariés et les équipes de diverses manières :
- Le sentiment d’isolement est le plus souvent évoqué comme étant une source de difficulté, accentué par le fait que l’accueil de publics et les relations d’humanité sont au cœur de la plupart des métiers culturels.
- Des relations interpersonnelles entre les salariés qui se construisent en partie sur des temps informels (soirs de représentations, tournées…) et qui pâtissent de l’absence de ces espaces de régulation et de respirations nécessaires à la cohésion.
- Le sentiment de désœuvrement dans ses pratiques professionnelles par le passage à l’outil numérique et la fracture entre les membres de l’équipe qui se creuse.
- Les difficultés liées à la question du suivi du travail et du report dans un cadre où les salariés sont en totale autonomie. Ils peuvent alors avoir des difficultés à organiser leur temps de travail, subir la pression d’un management qui demande trop de reporting et sur qui on fait peser une forme de culpabilité si l’investissement n’est pas continu.
- Les tensions créées par des soucis de communication et un manque de partage et de coordination sur les projets.
- Une articulation vie privée / vie professionnelle (garde d’enfant…) difficile et très interconnectée avec une obligation d’échanger avec ses collègues sur son cadre domestique (garde d’enfants, visio dans les logements…).
- Difficultés à se déconnecter le soir et le weekend.
- Des métiers dans une même équipe qui ne sont pas impactés de la même manière par le télétravail. Les sphères techniques notamment peuvent se sentir délaissées par celles et ceux qui télétravaillent et qui ne peuvent pas prendre de temps pour accompagner, ré-évaluer, modifier les postes empêchés.
- Pour des acteurs qui travaillent seuls (indépendants artistes…), l’isolement conséquent à la crise est d’autant plus fort et inquiétant.
Il s’agit alors de trouver des ressources pour re-synchroniser les énergies, maintenir le lien et mettre en place des mesures préventives pour lutter contre l’isolement.
Vivre ensemble la crise
Avec la famille proche, les collègues de travail sont sûrement ceux avec qui les personnes ont le plus vécu la crise sanitaire au quotidien. L’équipe devient alors un espace où s’expriment (ou pas) les frustrations, les démotivations, les angoisses, les espoirs individuels. De même, les capacités et besoins de chacun d’être dans l’action ou de prendre du recul, de s’adapter ou de résister, de vivre l’incertitude, sont diverses et propres à chacun. Mais les inégalités de vécus intimes face à la crise rejaillissent dans la sphère professionnelle et peuvent être source de tensions, d’incompréhension, de sentiment de non-reconnaissance qui impactent à termes le cadre de travail, les relations interpersonnelles et peuvent aller jusqu’à des situations extrêmes (arrêt maladie, burn-out…).
Des spécificités liées au secteur artistique et culturel
Le sens du métier : A quoi on sert ?
La question de la sensation d’une perte de sens global revient régulièrement chez les professionnels de la culture. Pour des équipes qui trouvent du sens au travail dans la perspective d’œuvrer à créer du lien et permettre aux autres de vivre des moments collectifs de fête et d’émotions artistiques, la coupure franche du lien aux autres sur le long terme est difficile. L’absence de ces moments de « récompenses » fait perdre toute sa sève au travail.
Associé à cette rupture de la relation, l’affichage politique du distinguo lieux essentiels / non essentiels repris largement dans les médias renvoi violemment les personnes face à la considération que la société a de leur métier.
Au-delà de l’investissement professionnel, beaucoup associent ce choix de carrière dans le milieu culturel à un mode de vie tourné vers l’extérieur où la sortie culturelle, la sociabilité prend une grande place. Avec la crise, c’est toute leur vie qui se retrouve impactée et remise en question.
En lien avec cette question du sens, celle de la militance. Les métiers culturels sont souvent présentés comme des métiers militants ou les personnes projettent sur leur vie professionnelle des engagements politiques. Or sur cet aspect, la crise, en mettant à l’épreuve de la réalité ces positions politiques, a joué comme un révélateur des manières différentes (voire divergentes) de penser les valeurs collectives défendues (résister ? continuer ? arrêter ? désobéir) et crée des conflits de valeurs insolubles pour les personnels en première ligne.
Ce métier qui ne « nourrit » plus ne vient plus compenser les difficultés liées à un cadre de travail précaire (niveau de salaire, avantages sociaux, sécurité de l’emploi, cadre de vie) et vient renforcer les risques de décrochage.
Une reconversion à marche forcée
Enfin, dans un projet de création, en partie ou totalement interrompu par les multiples confinements ou difficultés à répéter, mais aussi par le besoin de disposer d’un travail alimentaire, il peut arriver que les projets artistiques doivent s’arrêter. De même, nous observons la nécessité pour certains travailleurs indépendants déjà précaires de trouver d’autres économies professionnelles et donc d’arrêter ou de suspendre leur activité. A la précarité économique et sociale, s’ajoute alors la souffrance générée par la fin de son activité.
Ressources / pistes de réponses
Voici quelques pistes de préconisations pour apporter des réponses à ces écueils fréquemment rencontrés :
- S’appuyer sur des méthodologies de régulation collective, de partage de vécu pour accompagner et permettre la libération de la parole au sein d’une équipe. Pour ça, l’intervention d’un professionnel peut s’avérer pertinente.
- Repenser les cadres de références, les objectifs du projet pour aller vers des actions objectivement réalisables et appréhendables par les équipes. Et dans ce cadre, faire évoluer les attendus professionnels de chacun à son poste de travail et leur permettre de retrouver donc une certaine maîtrise de son poste.
- Partager au maximum son vécu et les expérimentations mises en place avec ses partenaires professionnels pour se nourrir du collectif.
Le management en tempête Force 8
Entre le marteau et l’enclume
Le management d’équipe a pris un sacré tournant depuis le début de la crise sanitaire. D’abord, parce que la relation aux équipes pour les managers.euses est totalement bouleversée : télétravail, chômage partiel, arrêt des activités, relativité importante sur les résultats, communication interne, arrêts maladie, garde d’enfant, etc. Ensuite, parce que les responsabilités et la prise de décision ont rarement été aussi délicates, risquées, soudaines et répétées.
Écueils fréquemment rencontrés :
Garant des conditions de travail
- Sécuriser l’espace de travail et poser les règles de sécurité sanitaire
Les responsables d’équipe ont dû faire face à l’ensemble des obligations d’employeur en termes d’aménagement des conditions de travail (refonte du DUERP, protocole sanitaire, etc.). Ces nouvelles règles sanitaires sont inédites et parfois une réelle découverte pour tout.e un chacun.e notamment dans le milieu culturel peut outiller en matière RH. Cela a demandé beaucoup d’efforts et de temps pour adapter ces nouvelles réglementations aux espaces de travail si particuliers de l’ensemble du secteur (salle de spectacle, salle de répétition, studios, chapiteaux, bureau, etc.). Le respect des protocoles pèse au quotidien et peut générer des difficultés relationnelles au sein de l’équipe.
- Trouver le rythme de travail le plus adapté à la situation
L’activité à l’arrêt nécessite de faire baisser le rythme de travail. Or, les équipes sont habituées aux diffusions, à certaines amplitudes et parfois à des métiers qui nécessitent des amplitudes horaires inchangées (administration très sollicitée pendant la crise par exemple). Cela peut créer des différenciations de traitement difficiles à gérer au sein d’une équipe.
- Adapter les postes de travail, les fiches de poste jusqu’à proposer de changer de métier
Nous l’avons vu plus haut, certains métiers ont été largement altérés ; les managers ont dû repenser les missions et les adapter en un temps record tout en respectant les compétences des salarié.e.s. Des difficultés relationnelles sont aussi apparues liées à l’acceptabilité et l’entente autour de la révision temporaire des missions. Maintenir l’énergie au sein de l’équipe reste une réelle difficulté.
- Transformer son regard de pilotage d’un projet général
Il faut pouvoir faire le deuil des projets qui ne peuvent se faire lorsqu’on a mené avec les équipes pendant plusieurs mois un travail important. Il faut aussi pouvoir se dire que le projet prend une autre forme et arriver à tendre vers une vision de période de transition du projet général tout en maintenant une forme d’activité essentielle.
Garant des orientations et des prises de décisions
- Déplacement des décisions gouvernementales et grand besoin de pédagogie vers les équipes et les publics
Il y a un décalage qui s’est opéré avec les indécisions et mesures gouvernementales contradictoires et incessantes. Les managers.euses ont dû trancher régulièrement sur des décisions exogènes, peu claires (interprétations de décrets, lecture et adaptation des protocoles sanitaires, etc.) et avec lesquelles ils pouvaient être personnellement en désaccord. Ce qui les a placé.e.s dans une posture de décideur.euse proche de l’autorité publique. La perception du manager.euse par les équipes a été impactée par cette « autorité » pourtant nécessaire mais interprétée comme une forme d’ingérence et dysfonctionnelle. La confusion entre le message et le messager peut avoir été source de tension et de souffrance pour les managers.euses
- Faire face au niveau d’acceptation et parfois à l’incompréhension des équipes
Nous avons tou.te.s été surpris.e par la brutalité des mesures gouvernementales. Il a fallu du temps pour que chacun.e accepte la situation. Les managers ont pu faire face à du déni, de la colère, de la sidération et de l’incompréhension. Malgré tout, ils ont dû absorber et tenter de trouver des solutions pour sécuriser et accompagner les équipes tout en conciliant avec leurs propres sentiments.
- Difficulté de garantir une communication fluide et transparente en interne
Le télétravail a généré un isolement et un boom de la communication par messagerie numérique ce qui ne peut pas remplacer les traditionnelles réunions d’équipes en présentiel, la communication directe sans oublier la sympathie de la relation entre collègues. Difficile dans ce contexte de transmettre au bon moment et à toute l’équipe concernée les bonnes informations qui changent par ailleurs constamment. Ces problèmes de communication ont généré de grandes tensions dans les équipes.
- Prise de risque amplifiée à l’extrême et stress accrue
Le caractère des décisions prises est assez grave pour une entreprise : mise au chômage partiel des salarié.e.s, prêt bancaire, sollicitation de dispositif d’urgence tout en bouleversant l’équilibre financier ce qui génère un grand stress sur le court et long terme. Personne ne sait quand cette crise va se terminer ce qui ne permet pas aux managers.euses de projeter l’équilibre de la structure dans le temps.
- Des enjeux multiples qui complexifient largement le travail de réflexion quotidien
La crise sanitaire a impacté l’ensemble des activités et tout l’environnement de la structure juridique : les ressources humaines, les finances, la sécurité, le rapport au public, les partenariats, etc. ce qui génère un immense casse-tête. Chaque décision impacte l’autre et l’art du faire et défaire s’est aussi installé à l’endroit du pilotage.
- Maintenir des relations partenariales à flots lorsque rien sur le terrain ne fait briller le projet et les ouvrages.
Cette situation génère un mauvais rapport de force et du stress pour les managers.euses qui doivent démontrer auprès des partenaires publics la nécessité de maintenir les financements. Après 6 mois de crise, les élections municipales se sont tenues à l’été dans un contexte socio-économique inédit. Difficile de dialoguer autour des sujets culturels et artistiques avec les communes dans un tel contexte par exemple.
Les particularités du secteur artistique et culturel
La forme associative et le travail associé
Organisées généralement sous la forme associative, les équipes de professionnel.le.s travaillent avec les habitant.e.s, les citoyen.ne.s qui souhaitent s’engager. Les associations sont composées d’une Assemblée Générale qui élit un Conseil d’Administration qui devient l’organe de responsabilité légale et employeur. Très souvent, les responsabilités sont déléguées partiellement aux directions, responsables, cadres, coordinations, et autres types de poste qui peuvent avoir la délégation du pilotage de l’équipe. Néanmoins, la responsabilité pénale et légale reste portée par les responsables légaux des associations : les présidences et l’ensemble des adminitrateur.trices des associations.
- Un Conseil d’Administration de citoyen.ne.s engagé.e.s ne veut pas dire un espace de professionnel.le.s
En effet, les administrateurs.trices des CA ne sont pas forcément formé.e.s ni armés pour gérer de graves problématiques d’entreprise (risques financiers, ressources humaines) vécues par les structures actuellement. Il faut parfois plus de temps et des accompagnements pour aider les personnes à comprendre la situation et leur permettre de faire les meilleurs choix possibles.
- Une concentration du pouvoir sur peu de personnes qui réduit le pouvoir du collectif et pressurise les seul.e.s con,cerné.e.s
La gouvernance partagée n’est pas encore répandue partout ! Il est récurrent d’observer la concentration des décisions et de la responsabilité sur la présidence ou les bureaux d’associations. Néanmoins, porter seul.e des décisions pour une association peut être lourd et difficile pour les bénévoles. Cela peut aussi faire peur à l’équipe qui peut s’interroger sur la capacité de décision des responsables légaux.
- Des Conseil d’Administration parfois démobilisés, un peu fantômes dont les équipes auraient bien besoin
C’est une réalité du secteur à ne pas taire. Certaines associations fonctionnent sur l’implication inédite de leur.e.s salarié.e.s. Avec la crise sanitaire, les profesionnel.le.s peuvent avoir besoin de croiser les regards et de conforter les décisions. Sans l’appui d’une gouvernance forte, cela peut être vécu comme un manque et un isolement.
- Des administrateur.trices découragé.e.s en manque de « rétribution » et de sens
Les bénévoles qui s’engagent dans les associations sont généralement motivé.e.s par le projet qui s’y déroule. Il est difficile de maintenir son énergie et son envie lorsqu’il n’y a plus de plaisir et de sens dans les difficultés à traverser.
La Culture face à sa propre culture du travail
Le secteur n’est pas préparé à une montée forte des RPS et peu équipé pour intervenir sur ces problématiques.
Le secteur artistique et culturel s’est construit avec la création des conventions collectives et tous les niveaux de professionnalisation (habilitation, formation, obligations du droit du travail, etc). Néanmoins, les « us et coutumes » des associations souvent montées par des artistes, des initiatives de terrain ne peuvent être évacuées. La professionnalisation est arrivée relativement tard dans nos secteurs ce qui ralentit parfois la prise de conscience des réalités du monde professionnel.
Ces militants bâtisseurs souvent présents à la direction se confrontent aussi à des nouvelles générations formées à l’université ou dans les écoles spécialisées qui n’ont pas la même relation au travail mais qui répondent aux exigences professionnelles renforcées par la montée en puissance de la charge administrative et de la responsabilité d’exploitant de spectacles. Or, nous restons souvent sur l’image du métier passion et des professionnel.le.s ne comptant pas leurs heures pour l’amour de l’art et du spectacle. La crise sanitaire a été un révélateur, accélérateur de ces tensions structurelles.
- La frontière poreuse entre l’engagement professionnel et la posture professionnelle
Il a pu être difficile de faire moins ou de faire différemment. En effet, les professionnel.le.s ont dû revoir leur implication qui ne trouvait pas d’écho au regard de l’arrêt des activités.
- La difficulté pour l’employeur de « cadrer » l’engagement et l’engouement des professionnel.le.s pour leur travail
Un réel besoin de pédagogie à cet endroit a été nécessaire pour ne pas démobiliser définitivement l’engagement professionnel mais le déplacer dans le temps ou le suspendre. Ne pas pouvoir faire son métier ou partiellement a laissé un sentiment d’inutilité voire parfois d’incompétence des équipes. Les managers.euses ont dû rassurer et trouver le moyen d’apporter la reconnaissance nécessaire à la remobilisation.
- Le manque d’organisme d’aides sur le plan des RPS et le manque total de dispositifs sur ce sujet pour les bénévoles dirigeant.e.s
A quel endroit s’arrête le soutien psychologique ou médical de l’employeur ? Voilà la question que se sont posé.e.s les managers.euses. Comment et quand intervenir dans la vie personnelle des salarié.e.s lorsqu’il s’agit de leur santé mentale ou de leur santé médicale. La frontière est mince avec la crise sanitaire.
Ressources / pistes de réponses :
- Multiplier les entretiens individuels et favoriser la formation professionnelle
- Se donner collectivement et individuellement un cadre qui permet de déconnecter
- Penser des espaces d’échanges et de régulation pour les bénévoles dirigeants en s’appuyant sur des dispositifs existants type DLA / formation FDVA bénévoles…
Sur qui pèse la gestion des risques psychosociaux ?
L’employeur est une personne qui emploie du personnel salarié. Le salarié et l’employeur sont liés par un contrat de travail. Il y a alors l’existence d’un lien de subordination.
Dans ce cas l’employeur a des devoirs et responsabilité envers ces employés et notamment celui de la gestion des RPS.
Quelles obligations ?
Une obligation générale de sécurité incombe à l’employeur (article L. 4121-1 du Code du travail). Il lui revient d’évaluer les risques, y compris psychosociaux, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Cette obligation générale repose sur une approche globale de la prévention des risques professionnels. Il ne s’agit pas seulement de rechercher la conformité à des obligations précises mais d’obtenir le résultat attendu (assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés).
Pour organiser la prévention des risques psychosociaux en entreprise, l’employeur se fonde sur les principes généraux de prévention :
- Combattre les risques à la source et adapter le travail à l’homme. Cela implique d’intervenir le plus en amont possible pour prévenir les risques psychosociaux : conception de postes de travail adaptés, choix des méthodes de travail et de production, en vue par exemple de limiter le travail monotone et le travail cadencé, soutien technique aux opérateurs pour la réalisation des activités, adaptation des charges de travail…
- Planifier la prévention en y intégrant dans un ensemble cohérent la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel.
Quelles responsabilités ?
La responsabilité civile : Elle vise à réparer le dommage causé à autrui
La responsabilité pénale : vise à sanctionner l’auteur de l’infraction et la société
Jusqu’en 2015, il n’était pas admis que l’employeur puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il avait pris des mesures pour faire cesser ou prévenir les risques psycho sociaux.
Depuis 2015 la jurisprudence rendue permet d’affirmer que l’employeur n’est plus soumis à une obligation de sécurité de résultat en tant que tel puisqu’il a la possibilité de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les mesures de prévention auxquelles il est légalement tenu.
Il en ressort que la prévention, par la mise en place de mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, est devenue le pilier de l’obligation fondée sur les dispositions des articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Anticiper la reprise ?
Quand on évoque la reprise, on espère qu’elle se fera dans un contexte apaisé, délivré des contingences virales et que la normalité sera de rigueur, nous permettant de repartir « comme avant ». Pourtant, plusieurs signaux devraient nous alerter sur la faisabilité d’une reprise à l’identique, que ce soit sur le volume d’activités, sur les conditions sanitaires, sur la motivation des troupes et sur un contexte économique difficile et saturé.
Donc, anticiper la reprise consiste à envisager le scénario du moins bien pour faire au mieux ; et de préparer des cadres et des modalités de travail adaptés à une reprise d’activité.
Écueils fréquemment rencontrés :
Une crise sanitaire dépassée, ou pas ?
Notre optimisme nous pousse à voir dans le vaccin une panacée. Pourtant, on entend que certains vaccins ne protègent pas des transmissions, voire ne protègent que partiellement des réinfections, voire… On peut alors imaginer que l’on va devoir continuer à mettre en œuvre les précautions sanitaires dans notre quotidien, que les capacités d’accueil du public seront limitées, voire que les spectateurs ne se déplaceront pas sur les événements de grande envergure. Il faudra donc potentiellement concevoir les projets avec ces contraintes. Ce qui peut impacter en profondeur la création, la diversité artistique, la diffusion…
Gérer le volume d’activités ou comment passer de 0 à 100 en moins de 10 secondes
Ça y est, les activités reprennent et il faut se remettre au travail pour mettre en œuvre le projet de sa structure. Mais il faut prendre en compte plusieurs aspects limitatifs.
La montée en charge rapide des activités va combiner une réalité professionnelle et une vie personnelle qui peut devenir complexe à gérer (avec une surcharge de travail dans un contexte professionnel difficile et une vie familiale qui doit retrouver ses marques).
Le temps de travail pour la mise en œuvre des projets dans un contexte de reprise implique d’envisager dès maintenant, au sein des équipes des réunions de reprise, voire des scénarios de reprise (si ce n’est déjà fait) pour faciliter la montée en charge des activités. Particulièrement en cas de « travail en mode dégradé » (surmenage, isolement, surinvestissement…). L’enjeu est alors d’adapter l’activité et d’ajuster les moyens humains. On recommande de s’appuyer sur les salariés pour établir un plan de reprise des activités, fixer des objectifs opérationnels et s’assurer de la cohérence des actions en accord avec les capacités de la structure et des équipes. Certain·es salarié·es non concernés par les activités liées à l’urgence peuvent-ils·elles s’emparer de certaines missions utiles au projet ?
L’embouteillage dans les calendriers
Les projets artistiques, qui peinent à exister depuis le début de la pandémie, seront-ils abandonnés, modifiés, reportés ? Comment, pour les structures les plus fragiles ou qui ont le moins de visibilité, faire exister les projets face aux acteurs plus puissants qui vont embouteiller le calendrier des diffusions de spectacles, des sorties de disques, et des temps de promotion dans les medias ? On peut espérer que le bon sens, les complémentarités se mettent en œuvre et que les dispositifs de soutien perdurent car certains ne pourront même pas se mettre sur la ligne de départ.
La disponibilité des compétences le jour J
Effet connexe au précédent : le marché de l’emploi des techniciens et la disponibilité du matériel va être un vrai frein à la tenue d’événements dans la période estivale ou au début de la reprise elle-même. Il serait de bon aloi de se garantir la présence des technicien·nes et du matériel et d’envisager des plans B, ou C…
La motivation à reprendre sa vie d’avant la crise sanitaire
Le confinement, l’effet « Accordéon » ou « Pénélope » (faire, défaire, refaire) a interrogé un certain nombre de professionnel·les sur le sens de leur travail, sur ses modalités. Le télétravail, la vie à la campagne, l’épanouissement personnel… sont autant de raisons pour certain.es d’envisager une modification de leur cadre de travail. Et pire encore, l’incertitude économique de pouvoir faire vivre son projet (quand ce n’est pas la nécessité de reprendre un travail alimentaire) donne de la matière à la petite musique lancinante que l’on entend poindre dans les communiqués du Gouvernement et des partenaires sociaux : la Transition collective est le nouveau nom de la reconversion professionnelle de masse…
Reprendre le cœur à l’ouvrage ou remobiliser les troupes
Certaines activités ont été forcément mises de côté ou le seront encore ensuite, temporairement on l’espère. Pour autant, elles sont effectuées par des personnes qui ont des compétences, des apports à faire au projet de la structure. Comment les aider à se repositionner ? Une structure culturelle est bien plus que la somme de ses individualités et chacun·e peut apporter un talent ou une compétence à son employeur hors cadre de sa fiche de poste. Comme énoncé précédemment (cf. Gérer le volume d’activités…), l’organisation du travail est à bousculer aussi dans le cadre de la reprise pour ne pas laisser certaines forces vives de l’équipe sur le bord, alors que les autres avancent. Des temps de formation en commun, l’interpellation sur des sujets, la valorisation des compétences sont autant de pistes à mettre sur la table avant la reprise pour que la réponse à un·e salarié·e soit collective au sein de la structure.
De plus, nous pouvons faire le pari que les usages et pratiques culturelles numériques issues de la crise resteront pour partie et donc que les compétences acquises pendant la crise seront désormais nécessaires au déploiement des projets et que de nouveaux métiers émergeront. Mais face à cette évolution, il peut y avoir une vraie fracture qui se creuse avec des salariés expérimentés et compétents sur leurs champ professionnel mais qui n’ont pas ces compétences numériques, ni d’appétence pour.
Par ailleurs, certaines personnes ont vécu le confinement et le déconfinement en état de crainte du virus, parfois de sidération. Autant de situations différentes qui laissent forcément des séquelles. Dans de nombreux cas, il faudra instaurer un soutien psychologique et user (abuser ?) de communication empathique et rassurante.
Et surtout, surtout, ne pas attendre que la personne en formule la demande mais agir de façon proactive !
Et puis, il y a aussi ces messages d’artistes et de techniciens qui se retrouvent à passer de l’intermittence au RSA. Quelles seront les conséquences de cette précarisation économique, sociale sur la motivation à continuer, à reprendre ? Comment les structures vont réussir à accompagner ces salarié·es, à les “remettre en selle” ? Comment va-t-on réussir à recréer l’activité elle-même ?
Et l’après reprise ?
L’évaluation des RPS est un processus complexe qui implique d’abord un état des lieux des facteurs organisationnels pouvant mener aux RPS. Ce qui implique une rigueur dans le diagnostic à mener, notamment via un recueil rigoureux d’informations quantitatives et qualitatives…
On l’aura compris, intégrer les RPS nécessite de positionner cette prise de conscience globale dans la conduite du changement au sein de sa propre structure. Ce qui en fait un projet en soi pour toute structure, notamment culturelle, qui bien souvent découvre la complexité des RPS à travers le prisme du DUEPR. Alors que cela permet d’interroger plus largement les compétences de l’équipe, ses besoins et somme toute d’en revenir à la notion de QVT – Qualité de Vie au Travail.
Faire le bilan de la crise et en tirer les enseignements pour s’améliorer
Certaines actions simples peuvent être à mise en œuvre pour faciliter le quotidien dans le cadre de l’après crise… On parle notamment de :
- être à l’écoute des équipes...
- valoriser et mettre en avant les capacités des équipes pendant la crise,
- identifier les bonnes pratiques à reconduire au cas où... voire à pérenniser,
- être en capacité d’identifier les dysfonctionnements (inadaptation, problèmes personnels, organisationnels) pour y remédier.
L’Anact a mis à disposition un dispositif Objectif Reprise qui propose un diagnostic d’une simplicité redoutable interrogeant le porteur de projet sur les actions de prévention des risques socioprofessionnels mises en œuvre. On y questionne l’organisation du travail, la prévention, la gestion du personnel, et sa propre capacité à « tirer les enseignements pour demain ». Sans même faire appel à « Objectif Reprise », vous pouvez quand même identifier vos points forts et pistes de progrès en matière de relations sociales, prévention et organisation du travail et utiliser les dispositifs spécifiques pour mettre en place des accompagnements aussi bien individuels que collectifs.